Le contact par les mains
Les poignées de main collaborent, paraît-il, davantage à la transmission des virus que les baisers.
C’est un symbole d’union, d’échange, de confiance et de commerce. Pourtant, COVID-19 oblige, la poignée de main est appelée à disparaître de nos échanges quotidiens, du moins pour un bon moment. Désormais, les chefs d’État, quand ils sortent, saluent du bout du coude, comme les adolescents s’habituent à se bécoter du bout des pieds.
Nous serrons, selon les estimations, quelques 15 000 mains au cours de notre vie. Poignées de main chaleureuses, sensuelles, fortes, molles ou humides, elles collaborent, paraît-il, davantage à la transmission des virus que les baisers. Qu’elle soit entrée en matière d’échanges amicaux ou clôture d’un accord longuement négocié, la poignée de main en dit long sur ceux qui la donnent.
Et dans l'histoire
Popularisée au XXe siècle, la poignée de main est traditionnellement un geste hiérarchique et de confiance. « C’est une façon de dire : j’arrive avec mes seules mains, sans poignard ni armes blanches. » Autrefois réservée à l’élite, la poignée de main s’est généralisée avec la société industrielle au XIXe siècle, pour devenir graduellement un geste de salutation au cours du XXe siècle dans le monde occidental. « Dans le monde oriental, on lie ses mains à la hauteur du buste en guise de salutation. Et plus les mains liées sont hautes, plus le respect exprimé est grand », poursuit M. Turcot.
Les distances de sécurité
Paul Valéry disait que « ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau ». Or, c’est une profondeur inaccessible à deux mètres de distance. Dans son livre La bible des gestes, Francis Brière rappelle que le toucher fait partie des besoins les plus primaires de l’être humain, tout au bas de la pyramide de Maslow. Citant les travaux de l’anthropologue Edward Hall, il rappelle qu’un écart de 15 à 45 centimètres entre deux personnes est considéré comme « une zone intime », « le lieu où chacun s’abandonne, s’adonne à la détente ».
Entre 45 et 120 centimètres, on entre dans « la zone privée », celle au sein de laquelle des amis, par exemple, échangent des propos. « Il y a encore possibilité de contacts physique, écrit Brière, mais la distance est suffisante pour établir une zone de confort entre les interlocuteurs ». À deux mètres se trouve la zone sociale. « C’est la distance entre deux personnes qui ne se connaissent pas », écrit-il. À plus de deux mètres se trouve aussi la zone dite publique, que maintient par exemple un professeur avec ses élèves.
Absence douloureuse
« Le sens du toucher est le seul dont la privation entraîne la mort », observait Aristote, cité par David Le Breton dans son livre La saveur du monde. Et la sollicitation du toucher tout-puissant, dans un contexte de souffrance par exemple, « ravive sans doute le souvenir de la présence maternelle et restaure la confiance en soi et dans le monde », écrit encore Le Breton. Son absence sera encore plus douloureuse au chevet des personnes âgées mourantes, si leurs proches arrivent un jour à s’en approcher, en cette interminable période de confinement.
« Le moindre rapprochement, écrit encore Le Breton, possède une forte connotation affective, car il vient rompre les conventions proxémiques [en lien avec notre occupation de l’espace] en usage. » Ne dit-on pas que ce qui nous atteint émotionnellement est touchant ?
Or, particulièrement chez les personnes qui souffrent de problèmes d’élocution ou de confusion mentale, c’est le toucher qui prend le relais dans la communication entre les êtres. « Le toucher agit alors en remplacement d’une parole qui n’a plus aucun sens », dit l’anthropologue en entrevue.
« Il y a dans le toucher quelque chose de l’enveloppement, lorsqu’on est dans une période de grande souffrance. »
En cette période d’asepsie généralisée et forcée, ce dernier contact, quand il s’agit de personnes mourantes, est refusé à plusieurs. Il ne restera aux proches endeuillés que l’option de se tordre les mains pour affronter leur douleur.
Article issu du journal québequois LE DEVOIR et écrit par Caroline Montpetit
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